dimanche 31 mars 2024

Game changer

 Qu'est ce qu'un game changer ? C'est quelqu'un qui change régulièrement un univers éditorial en apportant des éléments qui vont le bouleverser profondément. Et nos littératures ont évolué grâce à un game changer.

Ainsi Donald Wolheim en proposant avec Daw Books, une proposition néo-classique en SF et de la fantasy épique alors que le reste de l'édition était dans la new wave, a été un game changer. C'est grâce à son travail que ce que l'on a appelé la nouvelle science fiction américaine a pu émerger à partir de 1977.

John Joseph Adams en 2001 est devenu le fiction editor de The Magazine of fantasy and science fiction. Il va à son arrivée décider de ne plus publier les fonds de tiroir des grands auteurs. Il y aura ainsi plus de place pour des nouveaux ou des auteurs peu connus. C'est grâce à cette décision que les auteurs des minorités visibles et invisibles vont pouvoir trouver un espace de publication. Et ensuite Andrew Cox chez Interzone et Sheila Williams dans Asimov's vont prendre la même décision. 

Marc Gascoyne venait du milieu du JDR. Auteur de Warhammer et vice président de Games Workshop, il va avoir l'idée de créer Solaris Books en 2007 pour proposer une Sf et une fantasy plus punchy pour les nouvelles générations. Puis ensuite en 20009 il crée Angry Robot. Il a ouvert la voie à d'autres gens. Et ensuite on a vu apparaître Saga Press, le label Impulse chez Harper Voyager ou encore le label Tor.com chez Tor. 

En France il n'y a guère que Jacques Goimard qui a ouvert une nouvelle voie dans les littératures de l'imaginaire.

Mais le game changing peut aussi être du travail d'apprenti sorcier. Milady en rapprochant imaginaire et romance a provoqué une série de conséquences négatives : développement de l'imaginaire new adult au détriment de l'imaginaire spéculatif; attrition du lectorat masculin jeune, contamination de la fantasy par la romance. 

Le game changing peut être aussi le résultat d'une tendance et d'efforts coordonnés du fandom. Ainsi en Espagne ou en Italie, le rapprochement des littératures de l'imaginaire avec le jeu de rôles et les jeux vidéos a permis de faire émerger de nouvelles tendances sur le versant populaire.

Interruption de la chaîne de transmission

 Aujourd'hui on a de plus en plus de lecteurs qui commencent par le young adult, ce qui n'est pas un problème. Mais souvent ils continuent par le new adult. Ils ne sont pas capables de passer à l'imaginaire adulte. Comme s'il manquait un élément. Comme si les ouvrages passerelles entre YA et imaginaire adulte étaient absents.

Et la cause il faut la chercher au milieu des années 2000 lorsque Pocket sous l'impulsion de Bénédicte Lombardo a changé de politique éditoriale. Pocket SF a été longtemps un maillon important de l'écosystème SF / fantasy en France. Mais au milieu des années 2000 ils nous disaient qu'il fallait en finir avec la fantasy féminine et que l'on devait publier de la littérature plus virile. Tout ça pour rééditer Terry Goodkind. Mais cette période n'a duré que peu de temps. Ensuite Pocket SF avec son directeur de collection suivant Stéphane Désa s'est contenté de rééditer des œuvres publiées chez divers éditeurs, bien loin de la publication d'inédits qui avaient longtemps était la marque de fabrique de la maison. Et qui prend racine à la fin des années 80, quand Jacques Goimard s'est rendu compte de la faible féminisation du lectorat d'une part et du potentiel important du public rôliste d'autre part. Ce qui a amené un fort développement de la fantasy féminine et aussi de la fantasy tout court. C'est l'époque où Pocket a publié des page turners, des grandes sagas populaires qui ont amené toute une génération vers nos littératures. L'époque où l'on trouvait ces titres dans toutes les maisons de la presse.

Pocket après 88 a été un vrai game changer. Et on leur doit le développement d'un nouveau lectorat dans une période de vache maigre. Le seul reproche à leur faire, c'est de ne pas avoir publié de francophones.

Mais après le changement de politique éditoriale, à l'époque de Stéphane Désa, ils ont repris des romans ambitieux publié chez des éditeurs comme le Bélial ou l'Atalante. À l'époque plus question d'inédits au format poche. Le type de roman publié par Pocket jusqu'en 2005 avait disparu des collections de poche. Quand Milady s'est créé on espérait voir revenir ce type d'ouvrage. Et non ils sont partis dans une autre direction, plus racoleuse, pour satisfaire la grande distribution. Et les jeunes lectrices n'ont plus eu à se mettre sous la dent de la fantasy féminine populaire de qualité. Ces romans qui auraient pu leur permettre de basculer de la fantasy YA à la fantasy adulte. Et pourtant il y avait matière à publier des choses rien qu'en se cantonnant aux traductions anglophones. Chez Ace ou chez Daw, ce type de romans grouillaient. Et ensuite ils n'auraient eu aucun mal à accompagner l'arrivée de la diversité dans les années 2010. Et même aller vers des auteurs français.

Comme quoi, un manque qui n'est pas remplacé déséquilibre le système.