samedi 7 mars 2015

La culture de l'imaginaire et le mur de la ruralité



Quand on essaye de comprendre pourquoi les littératures de l’imaginaire fonctionnent moins bien en France que dans les autres pays occidentaux, on découvre au fil des analyses, des réflexions, des recherches, des observations que la variable cachée pourrait bien être la résistance d’une ruralité conservatrice face à une culture considérée comme innovante et surtout l’agent de l’étranger ( à savoir les USA).

Quand on observe la culture populaire, on se rend compte que de 1979 à 1995 environ, le roman de terroir a été le centre de gravité de la littérature populaire ( alors que dans les autres pays développés on passait du policier aux genres de l’imaginaire). Quand on observe la contreculture l’on se rend compte qu’une partie de son action s’est organisée autour des événements du Larzac ( alors que dans d’autres pays c’est autour des grandes métropoles industrielles).  Aujourd’hui encore  peu d’auteurs ont fait le choix  de vivre en zone rurale ( c’est plus fréquent outre Atlantique ou outre Manche). C’est dans le sud ouest et le centre ouest, où l’on trouve les régions les plus rurales en France que l’on a le moins de manifestations consacrées à l’imaginaire. Bref on sent une opposition nette entre la culture de l’imaginaire et le monde rural.
Mais en creux les cultures de l’imaginaire n’y étaient guère présentes dans les années 50 et 60. L’on se rend compte que les principaux foyers de propagation de la culture de l’imaginaire au cours de cette période ( la librairie de la Balance, le club Futopia, le fanzine Orion) sont des institutions parisiennes. D’ailleurs à l’époque la SF a plus d’influence dans les milieux intellectuels de la capitale que dans la France profonde. Des intellectuels comme Boris Vian ou Roland Barthes s’y intéressent par exemple. Pire la SF et le fantastique se mêlent aux sciences occultes et à l’ésotérisme dans les colonnes de Planète, privant largement ces littératures de l’aura de sérieux qu’elles auraient mérité. La SF et le fantastique étaient donc très implantés dans les milieux parisiens.

Mais il n’en été pas de même en province. Serge Brussolo lorsqu’il évoque son adolescence dans une interview donnée à Bernard Rapp, explique qu’à l’époque la SF n’existait pas en France. Or des collections comme Anticipation ou Présence du Futur étaient déjà là. Des auteurs comme Francis Carsac et Nathalie Henneberg sont déjà établis et la revue Fiction commence à être une institution. Mais pour un adolescent de province comme Serge Brussolo tout cela était difficilement trouvable. L’implantation territoriale du genre était donc pendant longtemps guère optimale. C’est dans les années 70 que les choses changent et que la SF commence à s’installer dans les librairies et bibliothèques de province. Dans les zones rurales ce n’est bien souvent que la collection anticipation qui est trouvable dans les maisons de la presse ( rejointes plus tard par les collections spécialisées de J’ai Lu et de Presse Pocket quand on a la chance d’avoir un libraire un peu ouvert). 

Mais dans ces zones rurales cette même culture va être considérée comme l’ennemi.
La volonté de défendre la vie et la culture rurale d’une minorité passait par le combat contre toutes cultures nouvelles essayant de s’implanter dans le territoire. Il fallait préserver son identité rurale. Mais d’autres gens viennent s’ajouter à ce combat. Au premier rang desquels on trouve des instituteurs qui considèrent la SF comme une culture abrutissante. Ce sont les mêmes qui accusent la BD d’être le vecteur de l’illettrisme. Bref il y a une incompréhension de ces hussards noirs de la république, totalement anachroniques dans les années 70 et 80, qui défendent les valeurs rurales comme base de la construction républicaine et qui ne comprennent pas leur propre époque. Il est vrai que le flirt de la science fiction avec la revue Planète et les milieux ésotériques contribuait à donner une aura sulfureuse à un genre qui ne l’était pas le moins du monde. Et l’ignorance faisait le reste. Le fantastique n’était bien souvent associé qu’au cinéma de série B et les chefs d’oeuvre littéraires du genre étaient totalement inconnus de la population à part peut être d’une poignée d’érudits locaux. C’est aussi à cette époque que l’on met en avant l’argument de la violence tant associée à la SF qu’au fantastique. Il faut remarquer que les instituteurs devaient énormément relayer les opinions de la commission chargée de faire respecter la loi de 1948.
Des notables aussi se sont mis dans la bataille. Eux essayent de préserver leur rôle en tant que têtes pensantes culturelles de leur territoire. Bref cette alliance qui comprenait aussi bien des gens de gauche et de droite, des catholiques et des laïcs, s’est mise en place. Dans bibliothèques souvent  gérées par des bénévoles, le genre était absent. Dans les écoles on disait le plus grand mal de ces illustrés qu’affectionnaient les gamins et bien sûr les genres de l’imaginaire n’étaient pas présents dans les armoires scolaires ( à l’exception notable de Jules Vernes auquel étaient attachées des vertus pédagogiques). 

Curieusement le genre policier ne faisait pas l’objet de cet ostracisme. 
A partir de ces données on peut se demander si le problème n’était pas plus ancien. Dans la France rurale de la première moitié du vingtième siècle, la culture du merveilleux scientifique n’était certainement pas présente, sinon les thématiques d’anticipation et de science fiction auraient été familières d’une partie des ruraux. On peut se dire que les feuilletons publiés dans la presse régionale devaient être surtout policiers et que ça explique que le genre policier ait été installé dans ces territoire et non la SF et le fantastique d’ailleurs. Même si c’est à prendre avec des pincettes ( le travail sur les feuilletons de la presse régionale n’existant pas j’en suis réduit à des conjectures). 

Reste à savoir pourquoi les populations rurales se sont opposées à cette forme de culture. Certes une partie des adeptes de la contre culture étaient très à gauche et il est tentant de penser que les conservateurs ruraux ne partageaient pas leurs valeurs. Ca a peut être joué mais à la marge, surtout pour les notables. Mais la réalité est à chercher ailleurs. Le système de valeurs des cultures de l’imaginaire s’oppose de manière frontale aux valeurs de la ruralité. Les valeurs de l’imaginaire c’est le rêve, l’ouverture d’esprit, la curiosité. Les valeurs rurales c’est le travail, le repli sur soi ( à rapprocher des propos d’un éditeur de romans de terroir qui explique que la plupart des auteurs qu’il a publié n’avaient jamais quitté leur village), l’immobilisme, la survie. D’un coté une société en mouvement, de l’autre un monde statique et fermé. Il faut aussi se souvenir que l’arrivée de la modernité était récente dans le monde rural. Certains hameaux n’avaient eu l’électricité que dans les années 60. La plupart des foyers n’avaient ni téléphone, ni la télévision. Les habitants de ces secteurs cherchaient à défendre leurs valeurs culturelles, la seule chose qui leur restait après l’arrivée des technologies du monde moderne. Et les valeurs rurales sont revenues au devant de la scène dans les années 70. D’abord avec l’utopie du retours à la terre puis avec le développement du roman paysan par l’éditeur Denis Tillinac chez Robert Laffont. 
C’est aussi la lutte du local et de l’international. Les ruraux refermés sur leur propre univers se sont opposés massivement à une culture qui était une fenêtre ouverte sur le monde, une culture sans frontière. Il s’agissait d’une sanctuarisation des valeurs locales contre la mondialisation socioculturelle. On sortait, en effet,  d’une société où les identités étaient plus locales ou régionales que nationales.
Le livre est également sacralisé et sanctuarisé en milieu rural, par les notables notamment. Mais le livre est un objet tellement sacralisé que l’on pensait que certains sujets ne pouvaient être de la littérature. Ce qui explique des thématiques qui sont acceptées au cinéma sont rejetées en littérature. Il faut dire que le livre n’était guère présent dans les familles paysannes et bon nombre de jeunes ruraux découvraient le livre à l’école. Et ce lien avec l’école a construit une relation entre le livre et les choses sérieuses. Et c’est d’autant plus vrai que dans les petites communes les bibliothèques étaient peu accessibles et ne proposaient très souvent pas de romans.


Les ruraux se heurtaient à la volonté des jeunes de vivre dans un monde plus ouvert avec une culture plus diversifiée et surtout qui parlaient à leur imaginaire, les faisaient rêver et les entraînaient loin d’un quotidien morne. 
En fait le mur n’est tombé que dans les années 90 et encore pas durablement. La génération X nourrie aux dessins animés japonais, comics, jeux de rôles s’est appropriée les genres de l’imaginaire et ils ont réussi à finalement installer une tête de pont dans les territoires ruraux. Malheureusement bon nombre de ces jeunes ont dû quitter leur ville ou leur région pour travailler laissant le travail à refaire derrière eux et le mur s’est reformé. Mais dans certains territoires un graine a germé et a permis de créer l’embryon d’un mouvement. Il faudrait qu’une deuxième fois le mur tombe et cette fois ci durablement. Il faut pour cela posséder les bons prescripteurs et médiateurs. Et là ce n’est pas toujours gagné.

Malheureusement la mentalité rurale s’est aussi exportée vers les villes. De nombreux déracinés des campagnes avaient mal vécu l’exode rural. Alors l’arrivée de la littérature de terroir à la fin des années 70 va les reconnecter à leurs vieilles valeurs rurales. D’un autre coté l’admiration pour les notables d’une partie de la classe moyenne va en conduire certains de ses membres à essayer de singer cette culture notabiliaire ( dans un besoin de légitimité). Et cela passera par le mépris de tout ce qui ne rentre pas dans les cases.

Ce qui veut dire que le travail de reconquête s’il doit contribuer à s’établir dans les territoires ruraux, doit également s’intéresser aux populations urbaines. L’on a besoin de communiquer.

1 commentaire:

GB a dit…

Remarques sur la littérature de Science-Fiction

Voir le magazine Présences d'Esprits n° 79 printemps 2014 page 50

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Dans son discours prononcé lors de la remise des prix de l’Université Polytechnique de Catalogne le 26 novembre 2008, Lois McMaster Bujold, (cinq fois le prix Hugo, trois fois le prix Nebula et trois fois le prix Locus) terminait par :
« La question de base reste la suivante : une histoire doit-elle détruire la joie dans le monde... ou la créer ? Tout ce que j'espère est que quelques jeunes écrivains avec une bonne culture scientifique relèveront le gant pour cette création de joie ».

G. Bouyer.