jeudi 18 mars 2021

Ecosystèmes gigognes

 L'écosystème des littératures de l'imaginaire est lui même un élément d'ensemble plus vaste : l'écosystème de la culture de l'imaginaire. Cet ensemble comprend tous les autres médias de l'imaginaire : cinéma, TV, jeux vidéos, jeux de rôle et GN, bande dessinée ainsi que toutes les pratiques d'action culturelle qui peuvent être liées aux univers de l'imaginaire. 

Au sein de cet écosystème la littérature a été le cœur jusqu'aux années 70 où de nouveaux médias sont apparus : le jdr et les jeux vidéos. Ils ont entraîné une vague importante de créativité, de nouveaux types d'univers, de nouveaux tropes. Et ils ont ensuite infusé la littérature de SF et de fantasy. On s'en rend compte avec l'arrivée en France d'auteurs issus du jdr à la fin des années 90. Une nouvelle manière d'écrire, une nouvelle manière de créer des univers, une créativité assez débridée (je pense par exemple à Mathieu Gaborit ou à Nicolas Cluzeau sur ce dernier point). Ils ont enrichi à leur manière les littératures de l'imaginaire malgré la résistance du noyau dur du fandom. 

Pour que l'écosystème fonctionne il faut que tous les éléments soient en interaction. Et une partie du fandom s'oppose malheureusement farouchement au dialogue avec les éléments des autres médias. Ce qui freine des quatre fers l'évolution de l'écosystème des littératures de l'imaginaire, On le voit bien par exemple avec le rejet du jeu vidéo par exemple.

Récemment le critique britannique Aidan Moher a fait un article assez érudit où il évoque l'influence des RPG japonais sur console et notamment la série des Final Fantasy sur la jeune génération d'auteurs de fantasy anglo-saxons. Ce qui montre encore une fois que les interactions peuvent donner des choses assez fabuleuses pour un peu qu'on les laisse prendre.

https://aidanmoher.com/news-opinion/2019/07/17/out-about-generation-jrpg/

Accepter les liens avec les autres médias, se mettre en dialogue au lieu de faire des littératures SFFF une forteresse assiégée me paraît une bonne attitude. L'ouverture fait toujours progresser. Mais la volonté de se tourner vers le public de la blanche est une négation de l'appartenance à l'écosystème culture de l'imaginaire et la volonté de se rattacher à un écosystème littérature.

Cet écosystème existe bel et bien pourtant. Nous avons surtout un écosystème littératures de genre qui en plus de l'imaginaire regroupe les littératures policières et la romance. Et curieusement là on voit des complémentarités se créer. Le thriller est contaminé par la SF ou le fantastique. La romance utilise des univers de la SF ou de la fantasy. Des littératures hybrides se créent. En blanche aussi quelques auteurs arrivent à dépasser le cap de l'anticipation dystopique et à construire des choses plus proches de nos littératures ( se souvenir d'Extrême Fiction d'Henri-Frédéric Blanc, ou de certains romans d'Eric Faye ou de GO Chateaureynaud). Ces compagnons de route même s'ils s'illustrent dans le champ de la littérature générale ont un intérêt pour les littératures de genre et en particulier pour l'imaginaire. Mais nous ne devons pas faire de l'écosystème une vache sacrée, au contraire nous devons essayer là aussi de dialoguer avec les littératures qui nous sont proches et non se réjouir dès qu'on a l'impression qu'un auteur de blanche fait de la SF. Se demander si les éléments de SF sont du fond ou juste de la forme. Si c'est un roman de blanche dans un monde de SF ou un vrai roman de SF.


mercredi 17 mars 2021

L'écosystème SFFF français aujourd'hui

 Après l'arrêt du poche chez Fleuve Noir l'écosystème a été déstabilisé et a perdu en cohérence.

Mais de nouvelles niches ont éclos entraînant son expansion dans les années 90. De nouveaux éditeurs venus du JDR amènent avec eux le public de ce loisir et créent une fantasy à la fois populaire et exigeante aux couleurs de l'hexagone. Un rapprochement entre les deux fandoms voit le jour même si le noyau dur du fandom SFFF est réticent au départ. 

C'est surtout ensuite que les choses vont se compliquer. La colonne vertébrale du nouvel écosystème ne sera pas une collection ou une revue mais des auteurs choisis parce qu'ils peuvent faire évoluer le genre vers sa légitimation : Houellebecq, Dantec et maintenant Damasio. 

D'un autre côté on constate le succès du young adult mais les lecteurs de young adult ne  passent pas tous à une SFFF plus adulte. Et la nouvelle structure de l'écosystème n'y est pas étrangère. On constate même dans une partie du fandom un mépris pour les lecteurs de young adult que l'on ne veut pas du tout intégrer.  Certains éditeurs, toutefois, ont fait l'effort de proposer un imaginaire young adult de qualité loin des sentiers battus et des stéréotypes. Je pense notamment aux Indé avec leur label Naos. 

Le passage d'un écosystème autour d'une SF et d'une fantasy populaire à un nouvel écosystème autour d'une littérature haut de gamme a totalement destabilisé l'écosystème qui n'arrive toujours pas à prendre une nouvelle forme définitive et continue à se métamorphoser mais sans se fixer. Il faudra bien un jour pourtant y parvenir tout en ayant une marge de manœuvres pour de nouvelles choses.

vendredi 12 mars 2021

Ecran du paraître

 Le sémioticien Greimas désignait la réalité fictionnelle par le terme écran du paraître. La fiction n'est pas la vérité mais la véridiction. Un certain nombre de gens considère que la littérature doit parler du monde et doit être un miroir du réel. 

Dans le milieu du polar les auteurs de roman d'énigme ou de thriller assument très bien d'être dans l'écran du paraître. Une partie des auteurs de noir aussi, ceux qui font du hardboiled. Il n'y a que les manchettiens intégristes qui sont dans le miroir du réel avec leur littérature d'intervention sociale.

Si chez les auteurs de fantasy l'écran du paraître est bien assumé, chez une partie des auteurs de SF on a du mal. Il faut trouver un aspect métaphorique pour rattacher le récit à un miroir déformant. Le récit ne saurait être qu'édifiant. Quand on connaît un peu l'histoire de la lecture en France, on reconnaît un modèle imposé par les bibliothécaires du 19éme siècle. Celui des "bons livres" qui devaient avoir une portée éducative ou édifiante et ne jamais être du simple divertissement. Justement il faut assumer d'être dans l'écran du paraître, ce qui n'empêche pas d'avoir un sous texte politique ou social. 

Adopter l'approche "worldbuilding does matter" et abandonner celle construire autour des seuls éléments spéculatifs semble un bon début pour y arriver. Nous avons besoin d'univers pas uniquement de concepts.

lundi 8 mars 2021

L'écosystème de l'imaginaire 3

 Nous avons donc déterminé que les deux piliers historiques de l'écosystéme SFF français étaient Fleuve Noir et Fiction. Que les deux étaient vendus en kiosque et maison de la presse.

Dans les maisons de la presse des années 80 et 90 on trouvait outre FNA, des collections comme J'ai Lu SF ou Pocket SF. Et les collections SF du Livre de Poche et Présence du Futur n'étaient pas absentes de certaines d'entre elles. La maison de la presse était donc au cœur de l'écosystème SFFF. Ou plutôt nous avions une dichotomie entre la SF populaire vendue en maison de la presse et la SF exigeante vendue en librairie. Le lecteur qui s'intéressait au deux savait dans quel point de vente il trouverait quoi.

Mais dans les années 90 pour des raisons que je n'explique pas, la SF et la fantasy ont déserté les maisons de la presse (alors que le policiers lui est resté). Donc un des pôle de vente a disparu. 

On nous dira que le supermarché a remplacé la maison de la presse pour le poche populaire. Mais c'est la ménagère qui fait les courses dans les grandes surfaces. Donc le marketing va y cibler plutôt un public féminin. C'est avec cette information en tête que Bragelonne a créé Milady. Donc ça ne recoupe pas le public de la maison de la presse.

Ce public des maisons de la presse s'est diversifié, rajeuni, et féminisé. Donc avec ces éléments en tête il serait sans doute possible de construire une offre adaptée. La reconquête des maisons de la presse est elle nécessaire ou même possible ? Je n'en sais rien mais elles ont été un élément important de l'écosystème SFFF. Leur mise en retrait a déséquilibré cet écosystème à la fin des années 90. Elles avaient même permis une certaine résistance quand le pôle librairie avait marqué un peu le pas dans les années 80. Ce qui est clair c'est qu'en plus des librairies on a besoin d'un deuxième pôle de vente. La vente en ligne peut recouper certains éléments mais sans doute pas tous.

Il faut se souvenir que dans les années 70, quand la BD était assez mal vue des libraires généralistes s'est créé un réseau de librairie spécialisée. Peut être aussi est ce une solution pour l'imaginaire. Un point de vente où l'imaginaire populaire et l'imaginaire exigeant se côtoierait et où l'on comprendrait que ce sont les deux faces d'une même pièce. L'imaginaire exigeant ne peut exister sans l'imaginaire populaire. 

L'écosystème de l'imaginaire 2

J'ai évoqué dans le précédent article le pilier qu'était Fleuve Noir Anticipation dans l'imaginaire français. 

Il faut maintenant évoquer le deuxième pilier la revue fiction. Créée dans les années 50, elle a duré jusqu'en 1990. Elle proposait aussi bien des traductions d'auteurs anglo-saxons que des auteurs français. Elle permettait à de jeunes auteurs francophones de se faire connaître et à faire leurs premières armes. Donc elle a apporté beaucoup. Beaucoup d'auteurs commençant par la nouvelle avant de passer au roman ça leur permettait d'aiguiser leurs plumes sur les textes courts avant de passer au roman. Donc de ce point de vue, la revue a eu un rôle majeur.

Il faudra attendre 1996 pour qu'une autre revue prenne le flambeau Galaxies. Avec une première époque jusqu'en 2007 avec Stéphanie Nicot aux commandes et une deuxième depuis 2009 avec Pierre Gévart. La revue permet à des auteurs francophones de se révéler tout en publiant des auteurs étrangers intéressants. Mais Galaxies est une revues qui ne se trouve que sur abonnement et dans un réseau de librairies intéressées. Il en est de même de la revue concurrente Bifrost. 

Fiction était disponible en kiosque et maison de la presse. Et ça change tout. Le public des maisons de la presse n'est pas forcément celui des librairies. On trouve des maisons de la presse dans des villes ou villages qui ont pas de librairies. On pouvait donc découvrir Fiction quand on habitait une petite ville de province. Au même titre qu'Anticipation et les collections de poche comme Pocket SF ou J'ai Lu SF, c'était une fenêtre sur les genre de l'imaginaire à laquelle on pouvait accéder dans de nombreux coins de la France profonde où les librairies n'avaient pas forcément de rayons SF développés.

dimanche 7 mars 2021

L'écosystème de l'imaginaire en France

 Si nous réfléchissons en terme d'écosystème nous pouvons nous demander si c et écosystème n'est pas perturbé. Et là nous devons revenir longtemps en arrière pour trouver l'événement perturbant.

Fleuve Noir a longtemps été l'épicentre de cet écosystème avec ses collections Anticipation mais aussi Angoisse. L'arrêt des collections de poche du Fleuve dans les années 2000 ( avec l'arrêt de Fleuve Noir SF qui avait succédé à Anticipation) marque le début de cette période de perturbation de l'écosystème de l'imaginaire francophone. Certes des éditeurs comme Rivière Blanche ou Armada ( ou plus récemment Pulp Factory, ma propre maison d'édition) ont repris le créneau mais avec une différence de taille. Ce n'est pas du poche et ce n'est pas vendu en maison de la presse. La disparition des collections populaires vendues en maison de la presse a conduit à la disparition du lectorat de ses points de vente. Un partie du lectorat populaire a disparu. 

C'est là qu'on se rend compte à quel point Fleuve Noir était central pour la SF. Certes la disparition des collections de poche est aussi le fruit des erreurs de l'éditeur ( le fait de ne pas s'ouvrir aux autrices dans les années 80 ou de créer une collection de fantasy parallèle à anticipation) mais pas seulement. La volonté de légitimation d'une partie du lectorat a conduit a l'embourgeoisement de notre littérature. Et lutter contre cet embourgeoisement ( ce que je fais depuis le début de ce blog) est mal vu d'une partie du fandom tant la volonté de légitimation est forte. Mais plus on s'avance dans cette légitimation, plus on accroit le déséquilibre de l'écosystème culturel des littératures de l'imaginaire francophone.