lundi 26 août 2013

Science fiction et rock'n roll

On a souvent vu des convergences entre SF et rock'n roll. Il est vrai que dans les années 70 de nombreux rockers on emprunté des thèmes aussi bien à la SF qu'à la fantasy. Il était donc temps de s'intéresser aux rapports que peuvent entretenir ces deux univers et leurs fans respectifs nous avons donc interviewé Thomas Bauduret, auteur et musicien de rock qui nous en donne une vision assez pessimiste.


1 Quel a été l'influence de la SF sur le rock français ?

Difficile à dire, il faudrait remonter aux années 70, lorsque la SF était "à
la mode" (ouh, le vilain mot !), ou plutôt au sommet de sa capacité
prospective et expérimentale, puisque l'art est forcément le reflet de son
temps ; elle a eu une influence majeure, comme à peu près toutes les idées
nouvelles qui fusaient à cette époque (que je n'ai pas connue, donc
j'extrapole), et il y a plus eu interpénétration entre ces idées et la SF.
C'était une autre époque. Un critique anglais a comparé la SF actuelle à la
collection de vinyle de progressif de votre grand-oncle, ce qui est méchant,
mais bien vu…

2 Le rock a-t-il influencé durablement la science fiction et la fantasy en France ?

Une fois de plus, comme il s'agit d'un chemin personnel, il faut voir ça de
façon individuelle. Que des auteurs comme Jean-Marc Ligny, Roland Wagner ou
Joël Houssin (et, oserais-je… le gars moi-même) aient été profondément
influencés et que cela se ressente dans leurs écrits, c'est évident. Après,
au niveau global, j'en suis moins convaincu. D'autant que, dans l'œil du
public, en art en général, il y a toujours le complexe du corn-flake (merci
M.) qui fait qu'on préfèrera n'importe quelle daube du moment qu'elle a un
drapeau US collé sur la fesse droite au meilleur écrivain européen… C'est en
train de changer — voire l'émergence du "polar nordique", pour le meilleur
ou pour le pire d'ailleurs, comme à chaque fois qu'on se base sur l'origine
et non sur la qualité, mais c'est une autre histoire — mais pas dans la SF,
trop sclérosée.

3 Dans les années 90 il y a eu en France un courant de rock expérimental ( Oulan Bator, Hint, Deity Guns.... ). Il semble pourtant qu'ils aient peu utilisé une imagerie SF. Comment explique tu cette non rencontre ?

Je pense l'avoir expliqué plus haut, après les visions technologique des
débuts de la SF, on est passé aux grands chantiers sociétaux reflétant une
époque (les années 60/70, pour synthétiser). Il est notable que le
sous-genre "post-cataclysmique" est plus ou moins né à cette époque, où on
redoutait de se prendre une bombe atomique sur la coloquinte (On sait
d'ailleurs aujourd'hui qu'on en est passés très près lors de la crise de
Cuba), et revient aujourd'hui, où les catastrophes sont écologiques. Dans
les années 90, la SF était devenue marginale et commençait à tourner en
rond, c'est peut-être une explication. Il y a encore aujourd'hui des
artistes pour s'en inspirer, comme Krystal System ou Kirlian Camera en
Italie, mais il n'y a pas de "courant" plus global. La SF "marche" au
cinéma, mais elle est souvent réduite à l'image sans grand fonds derrière,
puisqu'il faut toujours sauver le monde au bout des 90 minutes syndicales
avant le générique et les scénarios recyclent les grands thèmes sans
chercher à innover (ce qui reviendrait à un suicide commercial). Pourtant,
il suffit de lire "Aqua" de Jean-Marc Ligny ou la trilogie de l'abîme de
Pierre Bordage (Ou même "Le goût de l'immortalité" de Catherine Dufour) pour
voir que la SF aurait encore des choses à dire, et peut-être même plus dans
le grand bouillonnement mortifère actuel que dans les années 70. Si même un
genre aussi sclérosé que l'espionnage a pu se réinventer en s'adaptant (cf
"La face cachée des miroirs" de Catherine Fradier)… Mais il faudrait pour ça
arrêter de se regarder le nombril en se pignolant sur sa "culture SF"
(apparemment infuse, comme il sied aux surhommes, ce qui exclut le lecteur
occasionnel — berk ! — du processus) et réfléchir un chouïa… Oh, et admettre
que non, la SF, comme tout art, n'a pas changé et ne changera pas le monde
de ses petits bras musclés, mais peut aider à le décrypter ou même à
l'embellir. 

4 Peux tu nous parler de ton travail sur l'anthologie Rock Star en1999? Comment t'es venu l'idée ?

Une sorte d'évidence. Je crois que j'en parlais avec les éditeurs de
Nestiveqnen, avec qui j'étais assez proche à l'époque. Je ne sais comment
j'ai eu l'arrogance de croire que je pouvais diriger une antho, mais ils
m'ont fait confiance, qu'ils en soit mille fois loués, tout comme les
auteurs (et pas des moindres) qui ont répondu présent. Il faut croire qu'en
plus de la qualité réelle des textes, le sujet était porteur, car l'antho
s'est plutôt bien vendue !

5 Souhaiterais tu qu'il y ait plus d'interaction entre le milieu de SF et celui du rock'n roll ?

Pourquoi ? Chaque auteur puise son inspiration là où il le souhaite. Et
puis, il faudrait voir quel "rock". A mon humble avis, la notion qu'on
appelle de ce vocable, avec tout ce que cela comporte de subversion, est
morte. C'est une période relativement courte qui est allée, disons des
années 50 jusqu'au milieu 80, correspondant également à une révaluation de
la jeunesse en tant qu'entité à part entière, et a engendré un grand
bouillonnement créatif, non dépourvu d'arrogance puisque chaque génération
rejetait la suivante, mais une arrogance nécessaire. Les querelles entre
"anciens" et "modernes" ont toujours existé, on peut remonter à la Bataille
d'Hernani ou aux compositeurs dits classiques qui, à leur époque bien
lointaine, faisaient scandale en bousculant la norme, même si tout ceci est
bien oublié de nos jours. Aujourd'hui, le public préfère se faire des
"années nostalgie" plutôt que chercher des nouveaux groupes, ce qui est
contraire à l'idéal "rock", tourné vers la jeunesse et donc l'avenir plus
que le "c'était mieux avant" — mais plaît beaucoup aux maisons de disques
qui n'ont plus qu'à gérer bourgeoisement le capital. Hé oui, de nos jours,
pour être à la mode, il convient de regarder vers le passé… Le point
tournant est lorsqu'on a commencé à vendre des voitures estampillées "Pink
Floyd" ou "Rolling Stones", faisant des groupes censés être "subversifs" des
produits de consommation comme les autres. Maintenant, on vend des T-shirts
Sex Pistols ou avec la langue Stone dans les magasins de grande
consommation, usinés en Chine pour habiller des occidentaux qui les portent
comme l'effigie de Che Guevara, sans savoir ce qu'il y a derrière. De même,
les groupes vieillissants commencent à jouer dans leur intégralité leurs
albums emblématiques, brouillant la dichotomie originelle entre rock et
classique, on se masse pour voir des groupes singeant Queen ou les Beatles
histoire d'être sûr que les Queen ou Beatles d'aujourd'hui crèveront dans
leur coin. Qui porte les valeurs de la révolte adolescente aujourd'hui, Lady
Machin ? Quant au rap "musique de la jeunesse", je rigole : il est tout de
même né il y a trente ans, et les fans de l'époque ont pris la place de
leurs parents, sans oublier que c'est sa frange la plus réac qui est
favorisée, celle qui prône le système et le fait d'en profiter. Et non, je
ne le déplore pas : c'est dans l'ordre des choses, toute idée doit être
remplacée par une autre lorsqu'elle a fait son temps. Je présume que le
sentiment qu'exprimait le rock s'exprime par d'autre biais que je ne connais
pas forcément. Ou si on se contente de se gaver de séries téloches
abrutissantes avant d'aller chez Carouf' comme un bon petit, on n'a que ce
qu'on mérite. Lorsque la vulgarité, totalitaire par définition, se fait
dominante, l'art redevient un sport de combat, et aucun régime, même le plus
dictatorial, n'a pu museler les consciences. J'irais même jusqu'à dire que
l'art en général en redevient subversif : l'art, c'est le ressenti, et les
petits hommes gris qui ont pris le pouvoir, avec leur calculette à la place
du cerveau, le détestent tant qu'ils ne peuvent pas y coller une étiquette
de prix ou s'en servir pour vendre toute sorte de saletés. Ils ont horreur
de ce qui leur échappe et feront tout pour le détruire. Mais ils nous
offrent à nouveau le frisson de l'interdit…

6 Comment à ton avis rapprocher encore plus ces deux milieux ?

J'avoue que je n'en ai pas la moindre idée. Mais cela finirait par
ressembler à des rencontres d'anciens combattants, non ?

7 Qu'est ce que les éditeurs de SF et de fantasy devraient faire pour séduire les amateurs de rock'n roll ?

Comme je pars sur la notion que ce qu'on entendait par "rock" est mort et
enterré, même si le cadavre bouge encore sporadiquement, et que la SF reste
coincée sur un "âge d'or" passéiste et entretient son complexe de
supériorité tout en glissant vers les poubelles de l'histoire, humblement et
à mon avis qui n'engage que moi, etc, etc, je préfèrerais qu'on recherche
d'autres formes, des façons de faire nouvelles et excitantes qui rameutent à
nouveau tous ceux en mal d'innovation et engendreraient un enthousiasme
créatif comme il y en a eu de par le passé (sans forcément faire tabula
rasa, bien sûr, toutes les formes peuvent et doivent coexister tant qu'il y
a des gens pour les apprécier). Niveler un peu par le haut et non par le
bas, comme les innombrables thrillers industriels interchangeables usinant
les mêmes recettes qui encombrent les linéaires. Et si "l'âge d'or", ça
redevenait maintenant ? Alors retroussons nos manches !

3 commentaires:

Alias a dit…

Rhâlala! Mais ils ont quoi contre le rock progressif, tous ces auteurs? ;)

De façon plus sérieuse et plus générale, il faut surtout une science-fiction qui nous parle des problèmes d'aujourd'hui, de même qu'une musique qui est vraiment dans l'air du temps (par opposition à l'image que les publicitaires en créent) parlera forcément plus à ses auditeurs.

Je me demande d'ailleurs à quel point les auteurs de bandes dessinées SF ne sont pas plus au diapason de ce genre de choses que ceux qui écrivent.

Fabien Lyraud a dit…

Je préfererais nettement une SF qui parle des solutions aux problèmes d'aujourd'hui, qui nous montre les alternatives à la société industrielle de consommation plutôt qu'une éniemme dénociation dus système avec comme moralité le système est pourri mais on ne peut pas en changer, demain sera pire qu'aujourd'hui.
Les lecteurs ont envie qu'on leur parle d'espoir. Quand les prospectivistes ont plusieurs longueurs d'avance sur les auteurs de SF on peut s'inquiéter.

Alias a dit…

L'un n'empêche pas l'autre.